UN ÉTÉ À MOI d'Ann Patchett - Éditions Actes Sud
- Béatrice Arvet
- 8 mars
- 2 min de lecture
« Maman a eu une histoire avec une star ». Le teasing est particulièrement efficace pour nous embarquer dans ce récit reliant deux versions d'une femme, comédienne à Hollywood devenue « fermière » dans le Michigan et dont les trois filles, émoustillées, tentent de comprendre l’étrange parcours. Ce beau roman renverse avec brio l’image souvent figée que les enfants se font d’une mère.

Rien n’avait prédisposé Laura Kenison à devenir actrice, si ce n’est l’agacement ressenti lors d’une audition à son lycée pour le rôle d’Emily dans « Notre petite ville », une pièce qu’elle connaissait par cœur et dont les prétendants s’avéraient plus médiocres les uns que les autres. Sa prestation ayant été remarquée, elle se retrouve deux ans plus tard en Californie, héroïne d’un film à succès. Trois décennies ont passé jusqu’à ce printemps 2020 où ses filles (Emily, Maisie et Nell, 26, 24, 22 ans) ont choisi de se confiner dans la ferme des parents. C’est le temps des cerises, les arbres ploient sous le poids des fruits. Lara (le u a disparu) et Joe, son mari, sont heureux de vivre ce moment entre parenthèse avec la famille au complet, sans compter une aide bienvenue pour la récolte.
De Hollywood au Michigan, le chemin n’est pas si sinueux. Il passe par des paysages chargés de cerisiers en fleur dont la féerie pourrait être la première étape. Ann Patchett aborde de multiples sujets dans ce roman, qui cerne avec une justesse pointilleuse les différentes composantes d’une femme. Comment cette interprète pleine d’avenir a-t-elle choisi de devenir une mère au foyer, surchargée de travail, qui confectionne des tartes, coud des patchworks et tente de laisser s’épanouir chez chaque enfant une identité propre. Leur père est-il un second choix ? L’acteur était-il son véritable amour, peut-être même le père de l’aînée ?
Construit au cordeau, « Un été à soi » évite les pièges tendus par les filles, exprime avec le même talent les facettes du métier de comédienne, ses tentations et ses traquenards, la séduction d’une région ou la maturité de l’amour assortie d’une maternité sereine. Ann Patchett évoque deux périodes durant lesquelles la liberté ne s’exerce pas de la même façon. Point de nostalgie ici, malgré le tumulte des sentiments de jeunesse, ravivés par une mémoire ayant fait le tri des joies et des chagrins. Avec malice, l’auteur de « la maison des Hollandais » insère quelques retournements de situations amenés par des indices amusants à lire dans les prénoms des filles. Si la représentation presqu’idéale de la famille apparaît un poil puritaine, cet hymne à la nature offre une lecture à la fois captivante et apaisante.
Béatrice Arvet
* « Notre petite ville » de Thornton Wilder (théâtre)
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 6 février 2025
REPÈRES
Née en 1963, Ann Patchett vit à Nashville. Elle a reçu le PEN/Faulkner Award en 2002 pour Bel Canto (Rivages). Après la fermeture de la dernière librairie de la ville, elle a fondé Parnassus Books en 2011. Six de ses romans sont traduits en français dont « La maison des hollandais » (Actes Sud, 2021)
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