TOUTES LES VIES DE THÉO de Nathalie Azoulai - Éditions P.O.L
- Béatrice Arvet
- 1 févr.
- 3 min de lecture
Que se passe-t-il aujourd’hui dans l’intimité des couples mixtes ? Par le biais d’un mariage entre une juive et un catholique, Nathalie Azoulai raconte de l’intérieur la difficulté de continuer à dialoguer dans une époque de crises. Un roman courageux, d’une actualité brulante qui nous oblige à réfléchir un peu à notre rapport à l’autre.

Léa et Théo se sont connus à la fin des années 90 lors d’une séance « découverte » de tir, chacun avec un 9 mm dans la main, déjà donc, sous le signe de la force et d’un besoin de protection. En lui déléguant le rôle de défenseur, elle pouvait rompre avec la continuité exigée par la tradition. Lui, né d’une mère allemande jamais remise des horreurs commises par son pays, se réjouissait de réparer un peu l’histoire. La famille de Léa fit contre mauvaise fortune bon cœur, sa sœur attribua au jeune homme le terme de "mensch" et bientôt naquis une petite Noémie qui conforta le couple dans un bonheur (presque) tranquille, durant plus de vingt ans. La première fissure apparaît à la mort de la mère de Théo, qui semblait avoir libéré Léa de son devoir de transmission, laquelle, soudain, se sent contrainte de reprendre sa place. Convaincu qu’un nouveau massacre va bientôt advenir, elle se coule dans les obsessions de sa belle-mère, alors qu’étrangement Théo se sent plutôt délivré. Le 7 octobre et ses conséquences funestes feront le reste, avec l’apparition d’Israël dans le salon du couple. Désappointé, Théo tentera une autre aventure, en se fondant dans l’exotisme oriental, une manière, peut-être, de comprendre l’autre versant de son abîme existentiel.
UN CONSTAT PESSIMISTE
Qu’advient-il lorsque l’amour s’estompe et que le statu quo entre deux cultures explose ? Quand l’actualité impose de choisir un camp ? À travers l’itinéraire de Théo, un homme en apprentissage de lui-même, Nathalie Azoulai sonde les limites de l’altérité qu’elle oppose à l’identité, notion redevenue un sujet et exacerbée par l’importation des conflits. La réapparition de la communauté après un traumatisme, le « nous » qui dilue, étouffe l’individu, agissent comme un ré activateur des peurs, des fantasmes. Toujours aussi précise dans son écriture, parfois à l’aide de formules choquantes (« la vidange et le pardon »), elle décrit parfaitement comment une entente quasi fusionnelle (« une coquille de noix vide » ?) se fracasse sur les non-dits, les pensées refoulées, les questions en suspens. La montée de l’intransigeance fait face à la montée de l’antisémitisme, transformant les divergences en haine, les amis en ennemis, annonçant une impossible réconciliation.
Si le roman de Nathalie Azoulai s’attache clairement aux difficultés de vivre une mixité dans un « contexte historique dégradée », on ne peut s’empêcher d’extrapoler sur l’état des relations entre les confessions ou les clans politiques aujourd’hui, sur ces altercations parfois violentes entre opinions divergentes. Et se surprendre à regretter les temps « Peace & Love », quand les mémoires collectives et les religions passaient au second plan.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 9 janvier 2025
REPÈRES
Née en 1966, Nathalie Azoulai a intégré l'École Normale Supérieure et obtenu une agrégation en lettres modernes. Elle a enseigné au lycée et travaillé dans l'édition avant de se consacrer à l'écriture. Son 6ème roman, " Titus n'aimait pas Bérénice " a reçu le prix Médicis en 2015. Elle écrit également pour la télévision, la radio et est membre du jury du prix Femina depuis juin 2021.
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