PRISONNIER DU RÊVE ÉCARLATE d'Andreï Makine - Éditions Grasset
- Béatrice Arvet
- 22 févr.
- 2 min de lecture
Avec sa prose délicate, Andreï Makine continue à opposer le totalitarisme et sa barbarie à l’amour, la beauté et la magie de certains moments hors du temps. Des goulags staliniens aux années 90, de l’URSS à la France, il déroule 50 ans d’histoire à la recherche de l’essence profonde de l’humain. Un roman aussi vaste que les plaines glacées du nord.

Matveï Belov n’a pas toujours été ce pauvre hère décharné, sans mémoire, qui rôde dans la taïga à la recherche d’un coin tranquille où finir ses jours. En réalité, il s’appelle Lucien Baert, est français et lors d’un voyage en URSS en 1939, un peu trop curieux et doutant de la comédie d’une république modèle, où ouvriers et paysans travaillent gaiement à un avenir radieux, il se retrouve au Goulag. Il n’en sortira qu’en 1957, survivant miraculeux à 18 ans de travaux forcés et de guerre. Une décennie plus tard, après un purgatoire apaisant auprès d’une femme également reléguée, il réussira à rentrer dans une France avide de nouvelles de l’Est, où son témoignage le rendra célèbre, mais dans une version tronquée, sans nuances, arrangée à une sauce médiatique peu soucieuse de vérité.
Dès le prologue, un renversement de situation malicieux permet au narrateur d’accéder à des documents précieux et de devenir le rapporteur de l’histoire de Matveï/Lucien. En confrontant les conditions inhumaines vécues en URSS et la «révolution d’opérette» de 68, Andreï Makine ridiculise gentiment l’intelligentsia parisienne, anxieuse de ne pas être là où ça bouge, sans cesse en recherche d’émotions, de nouvelles causes à marchander. Aussi juste lorsqu’il décrit le calvaire de l’ex prisonnier que drôle en restituant la comédie de boomers n’ayant jamais manqué de rien, il évolue d’un registre à l’autre, en essayant de faire passer une vérité différente, que l’occident n’a jamais voulu entendre.
En embuscade, la poésie s’invite dès qu’elle peut, particulièrement dans les passages sur la vie avec Daria dans ce « nulle part » oublié de tous, auprès d’individus humbles portés par un courage authentique. Et l’auteur du « Testament français » n’oublie jamais que le véritable bonheur provient parfois d’un éclat de givre dans le soleil matinal ou du souvenir furtif d’une musique familière ; des rares instants d’éternité qui peuvent sauver une vie.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 23 janvier 2025
REPÈRES
Né en 1957 en Sibérie, Andreï Makine a passé son doctorat de lettres à Moscou et enseigné la philosophie à Novgorod. En 1987, il obtient l’asile politique, s’installe à Paris où il donne des cours de littérature russe à l’ENS et à Sciences Po, tout en se consacrant à l’écriture. Après des refus cinglants, il réussit à publier « La fille d’un héros de l’Union Soviétique » (Robert Laffont, 1990). En 1995, il obtient ex-aequo, le prix Goncourt, le Goncourt des lycéens et le prix Médicis pour un roman autobiographique " Le testament français " (Mercure de France) et, en 2001, le prix RTL-Lire pour " La musique d'une vie " (Seuil). Il écrit en français et publie également sous le nom de Gabriel Osmonde. Il est membre de l’académie française depuis 2016.
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