PERSPECTIVE (S) de Laurent Binet - Éditions Grasset
- Béatrice Arvet
- 23 sept. 2023
- 3 min de lecture
En 176 lettres qui portent les voix autoritaires, soumises, amoureuses, intrigantes, savantes, délatrices, contestataires … de personnages ayant un lien avec un crime, Laurent Binet raconte Florence en 1557. Un polar machiavélique, réjouissant, mêlant art, politique et religion dans une ville chauffée à blanc par le retour de l’inquisition.

Qui a bien pu assassiner le vieux Jacobo Pontormo, qui travaillait depuis onze ans aux fresques d’une chapelle de la basilique San Lorenzo ?? Probablement, celui qui en a repeint une partie avant de s’enfuir. Et qu’est-ce que ce tableau scandaleux trouvé dans sa maison, représentant une Vénus nue avec le visage de Maria de Médicis, fille de Cosimo de Médicis, duc de Florence et d’Éléonore de Tolède ? Au moment où le pape Paul IV durcit ses positions sur les hérétiques, principalement les Luthériens et que les adeptes de Savonarole rêvent de purger Florence de sa débauche, l’affaire perturbe au plus haut niveau. Giorgio Vasari, fidèle du duc, est chargé de l’enquête, assisté de son ami Vincenzo Borghini, prieur de l’hôpital des Innocents. Agnolo Bronzino succède à Pontormo (serait-ce un mobile ?). Les sœurs Plautilla Nelli et Catherine de Ricci se réjouissent (trop ?) de la mort du « sodomite ». Son broyeur de couleur était en conflit avec lui (de là à le tuer ?). Défilent ici les grands noms de la peinture florentine, tous suspects.
Laurent Binet arbitre une enquête palpitante dans laquelle chaque protagoniste a un mobile. Le lecteur galope de rebondissements en péripéties aussi vite que les messagers à cheval qui acheminent ces plis souvent compromettants. Tout est question de « perspective(s) » ce qui permet à l’auteur de HHhH d’en faire un savant éloge. En filigrane apparaît le contexte historique avec la 11ème guerre d’Italie, les revirements du pape Paul IV, allié peu fiable des Français, ainsi que les oppositions entre partisans du retour de la chasteté dans l’art et les défenseurs du nu.
Au chœur de ce tumulte, le maître suprême, référent incontestable, Michel-Ange Buonarroti, dispense conseils et jugements de Rome, où il tente de finir la construction de la Basilique Saint-Pierre. N’oublions pas, à Paris, Catherine de Médicis, trop contente de trouver dans l’énigme du tableau un moyen d’affaiblir son frère et qui convainc le maréchal de France de le voler par tous les moyens.
La langue est précieuse sans être pédante. Visiblement, Laurent Binet s’est beaucoup amusé à se mettre dans la peau de ces génies ou intrigants et à s’immerger dans la Renaissance italienne … jusqu’au retournement final, particulièrement gonflé, qui en surprendra plus d’un.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La semaine du 14 septembre 2023
REPÈRES
Né en 1972, Laurent Binet est agrégé de lettres modernes et a enseigné 10 ans dans l’académie de Créteil, puis à Paris VII et Paris III. Lauréat du prix Goncourt du 1er roman pour " HHhH " (Grasset, 2010), il a reçu les prix du Roman Fnac et Interallié pour « La septième fonction du langage » (Grasset, 2015) et le grand prix du roman de l’Académie française pour « Civilizations » (Grasset, 2019. Il a également consacré un récit à la campagne présidentielle de François Hollande, " Rien ne se passe comme prévu " (Grasset, 2012).
EN MÊME TEMPS ... À ROME ...
LE PAVILLON DES OISEAUX de Clélia Renucci
Éditions Albin Michel

Au même moment naissait à Parme la fille du Grand Cardinal Alessandro, fruit d’un instant d’égarement et immédiatement enlevée à sa mère afin d’assurer la descendance des Farnèse. Clélia Renucci relate le destin de cette autre Clélia, élevée par sa tante, mariée à 13 ans, veuve à 28, qui alimenta pendant 16 ans les aviso romains, équivalents des rubriques people d’aujourd’hui, en raison du trio qu’elle formait avec son mari Giovan Giorgio Cesarini et le cardinal Fernandino de Médicis. Dans une Rome où les religieux en rivalité pour leur prestige, amoncelaient richesses et collections d’art et où les entailles au vœu de chasteté étaient légion, tout passait par des alliances et des intrigues, souvent arbitrées par le pape lui-même. Si Clélia Renucci actualise son roman en s’attachant particulièrement à la condition féminine de l’époque, elle nous balade également dans un monde en bout de course, dont les traces, telles la villa Médicis ou le palais Farnèse en sont d’immortels témoins.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La semaine du 14 septembre 2023
REPÈRES
Née en 1985, Clélia Renucci vit à New-York. Professeur de lettres modernes, elle a publié un essai " Libres d'aimer : les cougars dans la littérature " chez Albin Michel en 2015. " Concours pour le paradis " a reçu le prix Grands Destins du Parisien Magazine et le prix du premier roman.
Perspective(s)....c'est un "exercice de style" réussi ...je craignais que la structure épistolaire du roman ne casse le fil de l'histoire, et le rythme de la narration ...il n'en est rien : le livre est un thriller original ...l'enquête est prenante, remplie d'un suspense qui se renforce au fil des rebondissements ...
L'écriture est extrêmement travaillée, empruntant son style au maniérisme de l'époque Renaissance, sans affecter nullement la fluidité de la lecture.
Il reste que le roman grouille de personnages (sans doute pour mieux nous plonger dans la vie florentine tourmentée de cette époque) ...et, de ce fait, ne nous permet pas de nous attacher à une figure centrale...qui apporterait à l'histoire une dimension plus romanesque et serait plus susceptible d'émouvoir…