OURAGANS TROPICAUX de Leonardo Padura - Éditions Métailié
- Béatrice Arvet
- 12 déc. 2023
- 2 min de lecture
Nous voilà à Cuba où, en deux polars gigognes, Leonardo Padura évoque deux visages de la Havane. En 1910 et en 2016, il nous balade à un siècle de distance, dans les quartiers chics ou chauds d’un pays dont les habitants oscillent entre tentation de la fête et « pessimisme historique ». Un roman captivant dans lequel intrigues policières et Histoire, suspens et Littérature, s’entendent parfaitement.

La première fois que Conde avait entendu les Beatles, il avait 9 ans. C’était en 1964, grâce à une « plaque » bricolée par un ami de son cousin. On était en plein régime castriste où, comme dans toute bonne dictature, la musique anglosaxonne était interdite pour cause de « contamination insidieuse des consciences ». 52 ans plus tard, une visite de Barak Obama, un concert des Stones et un défilé Chanel, trois symboles de la décadence occidentale mettent l’île en émoi. Conde, ancien flic devenu libraire et héros récurrent de Leonardo Padura, doit reprendre du service afin de résoudre l’assassinat de deux pourritures, qui s’étaient enrichis en pillant et harcelant les artistes non conformes. En parallèle, s’écrivent les chapitres d’un récit que Conde essaie laborieusement de rédiger sur Alberto Yarini y Ponce de León, un personnage haut en couleurs, proxénète notoire ayant réellement existé, dont le charisme et la popularité auraient pu l’emmener vers de hautes fonctions politiques, s’il n’avait succombé à une guerre de gangs en 1910.
D’un côté, avec un cynisme têtu, non dénué de dérision et de tendresse, Leonardo Padura décrit une ville, où les dollars commencent à affluer, où les nouveaux riches paradent dans les restaurants à la mode et où la majorité miséreuse, gonflée d’espoir, se met à nouveau à rêver. Un optimisme débridé qui ne touche pas Conde, porté par la certitude des lendemains qui déchantent. En farfouillant dans le passé sordide des deux victimes, l’un infâme « porte-drapeau de la pureté idéologique » ayant détruit des dizaines de vie, le second magouillant allègrement avec le premier, l’écrivain rappelle les pires moments d’une idéologie liberticide.
De l’autre, un siècle plus tôt, le meurtre de deux prostituées sauvagement mutilées permet au lieutenant Arturo Saborit fraichement débarqué à la Havane, de faire ses preuves tout en liant une amitié paradoxale avec Yarini, ce fils de bonne famille, à la tête d’un réseau de prostitution dont l’ampleur n’entamait en rien la réputation et les ambitions. Là apparaît une autre facette de la capitale cubaine, encore traumatisée par l’épisode de la comète Halley, décidée à vivre comme si chaque jour était le dernier.
Ce balancement entre deux époques, deux régimes, deux enquêtes, entre un vieil et un jeune policier, loin de donner le tournis, fait resurgir les liens indélébiles soudant le passé au présent, comme un insecte sur du papier tue-mouche. Leonardo Padura en fait la chronique avec toute l’humanité, la bienveillance et la lucidité possibles.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 30 novembre 2023
REPÈRES
Né en 1955 à la Havane, Leonardo Padura est romancier, essayiste, journaliste et scénariste. Reconnu comme un grand nom de la littérature, récompensé à de nombreuses reprises, il a reçu le prix Princesse des Asturies en 2015. « Ouragans tropicaux » est le 10ème épisode des enquêtes de Mario Conde.
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