NORD SENTINELLE de Jérôme Ferrari - Éditions Actes Sud (rentrée littéraire)

« L’enfer, c’est les autres* », surtout quand ils débarquent par centaines sur une île paradisiaque et que les autochtones ne peuvent échapper à leurs regards, curieux, intrusifs, exigeant une conformité avec l’exotisme attendu. D’ailleurs le narrateur de ce roman étonnant les zigouillerait bien tous, à la manière des insulaires de North Sentinel, comme il pense parfois, après une soirée un peu trop arrosée, qu’il aurait été judicieux d’éliminer les explorateurs de jadis, quelles qu’aient été leurs louables intentions. À travers ce personnage totalement antipathique, Jérôme Ferrari s’amuse d’un plaidoyer contre le tourisme de masse tout en dressant un portrait aussi comique que tragique de ses compatriotes corses. 

Pour l’heure, il y a urgence à retrouver le dernier rejeton de la famille Domani, cousin et fils de son meilleur ami, qui vient de poignarder un étudiant en médecine, bien connu de son agresseur, puisque, depuis l’enfance, il passe ses vacances sur l’île de beauté. Une histoire d’honneur dont fait partie la « grotesque dramaturgie identitaire » que caricature régulièrement Jérôme Ferrari et qui lui permet de remonter aux fondements de la société corse et à la perte d’une "innocence" originelle, "polluée" par les invasions estivales.

Si l’auteur du « Principe » voit ce roman comme un recueil de contes, il n’a rien perdu de sa verve percutante, drôle, tout en second degré goguenard et d’une richesse lexicale remarquable.  Du temps des « seigneurs » terriens jusqu’au commerce lucratif généré par le tourisme en passant par l’époque où l’île fournissait son lot de féroces brigands cachés dans le maquis, il continue à sonder la violence des hommes avec ses arrogances, ses frustrations, ses jalousies, ses contradictions et une idée du courage approximative.

Ce roman étonnant et politiquement incorrect compose le premier volet d’un triptyque dont les deux prochains tomes évoqueront la colonisation et l’expatriation.

                                                                                                                      Béatrice Arvet

* Citation de Huis Clos de Jean-Paul Sartre

REPÈRES

Né à Paris en 1968, Jérôme Ferrari est agrégé de philosophie et titulaire d'un DEA d'ethnologie. Il a exercé en Algérie pendant quatre ans, en Corse de 2007 à 2012, puis à Abou Dhabi, avant de revenir à Bastia en 2015 enseigner en classe hypokhâgne. Il a reçu le prix France Télévisions en 2010 pour " Où j'ai laissé mon âme " et le Goncourt en 2012 pour " Le Sermon sur la chute de Rome ". « À son image » a été adapté au cinéma par Thierry de Peretti et sera en salles le 4 septembre.

DERNIERS OUVRAGES PARUS

Les mondes possibles de Jérôme Ferrari. Entretiens sur l’écriture avec Pascaline David – Actes Sud, 2020

À son image – Actes Sud, 2018

Il se passe quelque chose – Flammarion, 2017