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MES AMIS d'Hisham Matar - Éditions Gallimard

  • Béatrice Arvet
  • 30 mars 2024
  • 3 min de lecture

Si l’exil est un thème récurrent dans la littérature, reconnaissons au roman d’Hisham Matar de le traiter avec une virtuosité rare. Voilà un livre captivant sur l’amitié et les destins contrariés, qui mêle à une tranche d’histoire de la Libye, une sensibilité méticuleuse et une réflexion tout en nuances.


Fils d’un professeur respecté à Benghazi, élevé dans l’amour des livres, Khaled aurait dû suivre les traces de son père. Le sort en a décidé autrement le 17 avril 1984 à Londres, lorsqu’il a été gravement blessé par les balles tirées depuis l’ambassade libyenne devant laquelle manifestaient des opposants au régime. Un affront pour la Grande Bretagne et l’impossibilité pour Khaled et son colocataire Mustafa, également hospitalisé, de rentrer à Édimbourg où ils étudiaient, leur absence ayant été remarquée par les espions de Kadhafi. Retourner en Libye n'est évidemment pas une option. Alors qu’il ne devait passer qu’une journée à Londres, Khaled y résidera toujours 37 ans plus tard, après avoir été contraint de revoir son avenir et de s’interroger à l’infini sur son nouveau statut de réfugié politique.

 

HISTOIRE ET DESTINS

 

Hisham Matar s’inspire de la manifestation ayant fait 11 blessés et coûté la vie à une policière, pour imaginer le sort de l’un de ces étudiants, pris dans les filets d’un dictateur d’une cruauté peu égalée. Même sous la protection de Scotland Yard, le danger est partout et l’anonymat, l’unique allié. Comment s’en sortir dans un pays étranger où l’on ne connaît personne, dans une solitude absolue, sans pouvoir prévenir ses parents, les téléphones étant sur écoute, contraint de cacher son histoire, même aux personnes de confiance ?

Pour Khaled, tout a commencé avec la diffusion inopinée sur la BBC en langue arabe d’une nouvelle métaphorique « Le Donné et le Pris », signée d’un certain Hossam Zowa clairement critique envers le dictateur. Dans les murs de la maison parentale à Benghazi, cette lecture produit une déflagration dans l’esprit du jeune homme de 14 ans, ignorant alors, que quelques années plus tard, Houssam deviendrait un ami très proche. Un matin de 2016, après l’avoir accompagné à la gare, il se souvient du long chemin parcouru depuis 1984 - quasiment sans quitter la ville de Londres. De King’s Cross à son appartement de Sheperd’s Bush, défilent ceux qui l’ont escorté dans sa métamorphose ; Mustafa, avec qui il partage les mêmes cicatrices visibles et invisibles ; Rana, l’étudiante libanaise en architecture, soutien indéfectible ; le discret professeur Walbrook, sans qui il n’aurait pas repris des études et bien sûr Hossam qui n’écrira plus une ligne après la parution de son premier recueil.

 

LES AMIS DE L’EXIL

 

Est-on contraint de rester indéfiniment connecté à sa terre natale ? Quelle part de nos amis nous échappe-t-elle ? Hisham Matar excelle à représenter chaque pixel de ces amitiés formées lors de circonstances particulières et qui, évoluant dans le temps, en dépit d’une profonde affection, peuvent se déliter au fil des silences, de l’éloignement ou des choix existentiels. L’exil y est traité sans aigreur, mais toujours avec la même question lancinante. Quelle aurait été mon existence si je n’avais été à cette manif ? De ce déracinement, de cette expropriation de soi, Hisham Matar fait un roman d’une grande acuité, dans lequel la littérature se substitue avec talent à la mère patrie.

 

                                                                                                                      Béatrice Arvet

 

Article paru dans l'hebdo La Semaine du 7 mars 2024


REPÈRES

 

Né en 1970 à New-York, Hisham Matar a grandi en Libye, puis en Égypte avant de s’installer à Londres. Son 1er roman « Au pays des hommes » (Denoël, 2007) a été finaliste de Man Booker Prize.  « La terre qui sépare » a reçu le prix Pulitzer et le prix du livre étranger France-Inter / JDD.

 
 
 

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