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LEÇONS de Ian McEwan - Éditions Gallimard

  • Béatrice Arvet
  • 3 févr. 2024
  • 3 min de lecture

Pour certains la littérature doit raconter le monde, pour d’autres chercher un sens à notre passage sur terre ; dans « Leçons », Ian McEwan réunit les deux à travers une vie d’homme singulière et banale, cependant ancrée dans l’Histoire. Un grand roman.



Londres, 1986. Alors que le nuage de Tchernobyl passe au-dessus de l’Europe, Roland Baines, récemment père d’un petit Lawrence, vient d’être soudainement quitté par sa femme. Un simple mot indiquait qu’elle s’était trompée de chemin et qu’élever un enfant était incompatible avec sa vocation de romancière. En plein désespoir, entre deux biberons, les couches à changer, la maison à tenir, il tente de comprendre comment ils en sont arrivés là. Au même moment lui reviennent les épisodes troublants vécus avec une professeur de piano, entre 14 et 16 ans.

Si les boomers ont eu, un temps, l’impression d’être épargnés par l’Histoire, celle-ci a tout de même eu des répercussions sur leur existence. De la fermeture du canal de Suez à la pandémie mondiale, en passant par la chute du mur, le 11 septembre ou le Brexit, Ian McEwan égrène les étapes qui façonnent un homme avec ses forces, ses faiblesses, ses ratés et ses réussites. Toujours aussi habile dans l’art de mêler le collectif à l’individuel, d’observer la progression du temps tout en se soumettant aux fluctuations de la mémoire, il orchestre ce subtil mélange d‘hérédité, de résilience, de rencontres, de hasards, d’influences, dont on ne maîtrise jamais vraiment les conséquences sur nos personnalités.

Quel aurait été le destin de Roland si la crise des missiles cubains et cette soudaine proximité avec la mort, ne l’avait incité à prendre une décision radicale ? Ian McEwan utilise certains éléments de sa propre biographie pour « déconstruire » un personnage ordinaire, dont l’itinéraire a été inconsciemment dévié par le contexte géopolitique. De pianiste prometteur, Roland est devenu un dilettante, jouant dans les bars d’hôtels, gagnant quelques livres en publiant des poèmes. Handicapé de l’engagement, il assume ses contradictions, ses manques, sans frustration, sans se départir d’une bienveillance non dénuée de lucidité. En mixant les passés des parents de Roland et de sa femme allemande, en passant au crible chaque phase de son évolution, de l’adolescence au corps défaillant, il explore les composantes d’une identité, avec ce mélange d’humour, d’émotion ou d’acuité qui, toujours, tend vers l’universel.

On retrouve ici la puissance narrative de « samedi », mise au service d’une existence empêchée, dont les errements donnent matière à une réflexion sur la création et les sacrifices imposées lorsque l’on s’y consacre entièrement. Ni morale, ni art de vivre dans ces « Leçons », mais une belle démonstration de ce que peut être la littérature quand elle est au sommet.

 

                                                                                                                      Béatrice Arvet


Article paru dans l'hebdo La Semaine du 11 janvier 2024

 

REPÈRES

 

Né à Londres en 1948, Ian McEwan a vécu en Extrême-Orient, en Libye et en Allemagne au fil des affectations de son père. Récompensé par le Somerset Maugham Award en 1976 dès son 1er recueil de nouvelles, il a reçu une multitude de prix parmi lesquels le Femina étranger pour " L'enfant volé " en 1993 (Gallimard), le Booker Prize pour " Amsterdam " en 1998 (Gallimard, 2001) et le WH Smith Literary Award pour " Expiation " en 2002 (Gallimard, 2003), adapté au cinéma par Joe Wright sous le titre français " Reviens-moi ". Commandeur de l'Ordre de l'Empire Britannique depuis 2000, il est également membre de la Royal Society of literature et de l’Académie américaine des arts et des sciences.

 

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Le cafard – Gallimard Hors-série, 2020

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