LE ROMAN DE JEANNE ET NATHAN de Clément Camar-Mercier - Éditions Actes Sud
- Béatrice Arvet
- 21 oct. 2023
- 2 min de lecture
Espérons que ce premier roman devienne un petit événement littéraire. L’actualité du thème, l’écriture innovante, les personnages cabossés mais si familiers dans leur désespérance, font de cette histoire d’amour improbable, une version inédite de nos modernes solitudes. Impressionnant.

Comme toute bonne actrice, Jeanne s’est réjouie de jouer Phèdre, un rôle à la hauteur de son talent, même converti en scène de triolisme dans un film porno. Elle assume son métier, qu’elle vit comme une émancipation, une expression de sa liberté et aussi un pied de nez à ses parents bourgeois psychorigides. Alors pourquoi consomme-t-elle une quantité phénoménale de cocaïne, plus quelques cocktails d’alcool, de psychotropes et d’antidépresseurs ?
De son côté, Nathan, professeur universitaire d’histoire du cinéma, fait face à sa médiocrité avec les mêmes mélanges euphorisants. De beau gosse populaire, séduisant, fêtard, éternellement nostalgique de ses années lycée, il est devenu, il faut l’avouer, un junkie, dont l’horizon se limite aux toilettes où il se fait des rails à longueur de journée. Jeanne et Nathan ne se connaissent pas, mais ils toucheront le fond simultanément dans deux scènes délirantes, magistralement restituées par un auteur plein de surprise, qui les réunira finalement dans une clinique de désintoxication.
Peut-on réellement faire table rase du passé ? Qu’il décrive les bons ou mauvais trips de ses deux héros, leur mal-être, leurs fausses excuses, leurs délires psychédéliques, leur coup de foudre ou qu’il élargisse son propos aux symptômes de l’époque, l’inutilité de vies remplies de désirs trop vite satisfaits, l’éloignement de la nature et de l’essence même de l’humain, Clément Camar-Mercier fait preuve d’une inventivité remarquable. Il jongle avec les mots, retourne les concepts, puise au fond de l’âme humaine, en remonte des sentiments aux nuances inédites, sans faiblir, sans manquer de souffle jusqu’à la dernière ligne.
L’écriture est crue, parfois choquante, percutante, ambitieuse, d’une lucidité implacable dans la dénonciation des addictions contemporaines. Qu’il s’agisse de drogues, alcool, sexe, argent, réseaux sociaux, politique, sport, télévision, bénévolat ou bien d’autres activités pratiquées frénétiquement, la dépendance est la même pour tenter de combler le vide abyssal d’une société toujours en quête de nouveautés. L’incomplétude d’existences entièrement tournées vers la consommation, la surproduction, le gâchis, en même temps que la culture confondue avec le divertissement ou encore le dévoiement des mots, sont (d)énoncés avec une richesse lexicale réjouissante. Bref, tout au long de cette rencontre foudroyante de deux solitudes, convaincues que seul l’amour peut les sauver, on a le fond et la forme, une performance pour un premier roman.
Béatrice Arvet
Article par dans l'hebdo La Semaine du 28 septembre 2023
REPÈRES
À 36 ans, Clément Camar-Mercier est dramaturge et traducteur, notamment spécialiste du théâtre élisabéthain et de Shakespeare en particulier, dont il a entrepris une nouvelle traduction. « Le roman de Jeanne et Nathan » est dans la sélection du prix de Flore.
Dense et fluide. C'est rare de réunir ces deux qualités que tu parviens à conjuguer dans la chronique. Merci Béa pour cette lecture réjouissante.