LA PETITE FILLE de Bernhard Schlink - Éditions Gallimard
- Béatrice Arvet
- 10 juin 2023
- 2 min de lecture
En imaginant la rencontre d’une ado élevée dans un foyer néo-nazi et d’un « grand-père » par alliance, Bernhard Schlink met à jour les séquelles de la réunification à marche forcée de l’Allemagne. Un roman profond, tout en délicate sensibilité.

En fouillant dans l’ordinateur de sa femme récemment décédée, Kaspar Wettner découvre qu’elle avait abandonné un bébé en RDA avant de passer à l’ouest en 1965. Entre remords et honte, elle avait passé ses dernières années à tenter de la retrouver sans vraiment aller au bout de la démarche. Poussé par le chagrin, déconcerté par ce secret, Kaspar part à la recherche de cette fille cachée. L’occasion pour ce libraire, féru de musique et d’art, de pénétrer le monde des völkisch, une communauté rurale convaincue de rétablir, un jour, la grande Allemagne, purgée de ses étrangers. Faire la connaissance de Svenga et de sa fille Sigurn, qu’il considère immédiatement comme sa petite-fille, le bouleverse. Afin de se rapprocher de l’ado, il invente un testament l’obligeant à passer, chaque année, quelques semaines de vacances avec lui.
Par cette histoire d’apprivoisement mutuel, Bernhard Schlink pointe les cicatrices de l’effondrement du communisme après la chute du mur. Contraints de gommer tout ce qui venait de l’Est en eux, certains allemands, mal préparés à l’économie de marché, ont rejeté le système en cultivant une nostalgie du communisme ou en se tournant vers l’extrême-droite. C’est le cas des parents de Sigurn, qui ont élevé leur fille dans le culte des héros nazis, chants des jeunesses hitlériennes et histoire revisitée à l’appui.
Comment entamer le dialogue avec cette enfant sans la brusquer ? Par quel moyen l’aider à penser par elle-même et faire ses choix en connaissance de cause ? Et pourquoi Kaspar prendrait-il le droit de la séparer du monde de ses parents ? L’auteur du « Liseur » interroge avec une infinie subtilité deux univers irréconciliables. Si la musique sert de premier vecteur à ce dialogue difficile, il faudra beaucoup de précautions et d’intelligence au « grand-père » pour contrer « la montagne de ressentiments » et de préjugés véhiculés par Sigurn.
Bernhard Schlink excelle à décrire le rapprochement progressif de ses deux personnages et parallèlement, à rappeler les enchainements historiques que produisent certains choix individuels. Au moment où nous sommes saturés de fakes news et de théories du complot, ce questionnement universel est une ouverture à l’autre, à ceux que l’on ne comprend plus car, déboussolés, haineux, attirés par les extrêmes, la communication s’est coupée, fracturant par la même occasion les démocraties.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 11 mai 2023
REPÈRES
Né en 1944, Bernhard Schlink est avocat, universitaire et romancier. Il a obtenu un succès international avec « Le Liseur » (Gallimard, 1996), adapté au cinéma par Stephen Daldry. Il a reçu de nombreux prix, dont le prix Heinrich Heine en 2000.
DERNIERS OUVRAGE PARUS
Couleurs de l’adieu – Gallimard, 2022
Olga – Gallimard, 2019
La femme sur l’escalier – Gallimard, 2016
"La Petite Fille" ...c'est incontestablement ma plus belle "lecture" de l'année ...un regard sur une "autre" Allemagne ....sortie meurtrie, perdue, délaissée par la réunification ...un rapprochement "familial" singulier, romanesque ....qui sublime la force de l'écoute, du dialogue, de la bienveillance...les valeurs universelles de la littérature et de la musique ...et, nous fait finalement croire, subtilement, en une jeunesse lucide, intelligente et combattante ....