CROSSROADS de Jonathan Franzen - Éditions de L’Olivier
- Béatrice Arvet
- 7 janv. 2023
- 3 min de lecture
En suivant pas à pas, une famille protestante en pleine crise, Jonathan Franzen nous immerge dans l’Amérique des années soixante-dix. Avec un talent de conteur hors pair associé à un art magistral de scruter la vie intérieure de ses héros, il nous épate un peu plus à chaque nouvelle publication.

La famille, avec ses conflits de générations, ses legs toxiques ou non, ses turbulences et ses secrets, est souvent la scène privilégiée de Jonathan Franzen. Ici il investit un foyer protestant où l’idée du péché est omniprésente, alors que le pays entre dans l’ère « sexe, drogue & rock’roll ». Dans cette maison de la banlieue prospère de Chicago, chacun oscille entre tentation et contrition, obsédé par les notions de faute, culpabilité, honte ou punition divine. La religion est au cœur du dispositif à un moment où la jeunesse se libérait de l’autorité, tout en s'entichant de l’image d'un Christ hippie.
MAÎTRE DE L'INTROSPECTION
Nous sommes à la veille de Noël 1971. Cinq personnages se trouvent à la croisée des chemins comme l’indique le titre, qui évoque également l’association où les ados de la First Reformed Church se rassemblent chaque semaine. Russ, le père pasteur, ne s’est pas remis d’avoir été évincé des séances hebdomadaires par un jeune plus cool, ce qui ne l'empêche pas de ruminer des pensées lubriques envers une jolie veuve, nouvelle venue dans son église. Marion, épouse frustrée, ayant oublié sa féminité depuis les maternités, traverse un marasme dépressif en se remémorant une partie de son passé, cachée à son mari. Leur fils Perry calme ses angoisses en fumant et vendant de la Marijuana, leur fille Becky est attirée par un beau guitariste déjà en couple et l’aîné met en péril son année universitaire après avoir découvert le sexe avec sa petite amie. Judson, le petit dernier semble épargné par les foudres d'un auteur dieu, qui s'amuse à semer des embûches sur la route de ses héros.
DE L’INTIME AU COLLECTIF
Écœuré par l’élection de Trump, Jonathan Franzen s’est immergé dans les années 70, parsemant son texte de quelques indices autobiographiques. Passé maître dans l'art de reproduire le moindre frémissement cérébral de ses personnages, il fragmente leurs itinéraires, un processus particulièrement efficace pour piéger le lecteur. Il s’avère aussi à l’aise dans la peau d'un pasteur concupiscent que dans la tête d'une femme aux antécédents psychiatriques. Il fait preuve d’une précision minutieuse pour décrire la spirale maniacodépressive d'un ado ou l'effervescence sentimentale d'une jeune fille expérimentant à la fois l'amour et dieu. En toile de fond, la guerre du Vietnam s’invite dans le mental d'un étudiant confronté à ses contradictions, qui finit par s'engager malgré ses convictions pacifiques. La spoliation des indiens navajos trouve également place dans ce roman.
Que l'on apprécie ou pas cette littérature exigeante, dense, mélange de comédie et de réalisme désabusé, on ne peut qu'être admiratif devant la prouesse. Très critique envers les réseaux sociaux, Jonathan Franzen a pris l’habitude de répondre à la communication en 300 signes par des livres de 700 pages, pour notre grand bonheur. Il paraît qu’il s’agit du premier tome d’une trilogie, encore mieux.
Béatrice Arvet
Article paru dans l'hebdo La Semaine du 1er décembre 2022
REPÈRES
Né en 1959 dans l'Illinois, Jonathan Franzen a fait ses études en Pennsylvanie, puis à Berlin. Il a travaillé comme chercheur en géologie à Harvard avant de se consacrer à la littérature. Très rapidement considéré comme un écrivain à fort potentiel, il a reçu de nombreuses récompenses, dont le National Book Award en 2001 pour " Les corrections " (L'Olivier), son 1er roman. " Freedom " (L'Olivier, 2011) s'est vendu à un million d'exemplaires aux Etats-Unis.
DERNIERS OUVRAGES PARUS
Et si on arrêtait de faire semblant – L'Olivier, 2020
Phénomènes naturels – L’Olivier, 2018
Purity – L'Olivier, 2016
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